Le 7 novembre 1492 vers midi, quelques semaines à peine après que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, une gigantesque explosion, entendue dans toute l’Alsace et une grande partie de la Suisse, retentit au-dessus d’Ensisheim, une petite ville située à 25 km au sud de Colmar.
La météorite d'Ensisheim
Un enfant aperçoit une pierre tomber dans un champ, et creuser un trou d’un mètre de profondeur. Les habitants de la ville, immédiatement accourus prélèvent de nombreux fragments jusqu’à ce que le bailli intervienne et confisque la météorite.
Quelques semaines après la chute, des feuilles volantes (Flugblätter) intitulées « Sur la pierre de tonnerre tombée à Ensisheim en l’an 1492 » sont diffusées dans tout le bassin rhénan. Leur auteur est Sébastien Brant (1458-1521), savant renommé et soutien de Maximilien Ier de Habsbourg (1459-1519), héritier du Saint Empire Romain Germanique, dans sa lutte contre le roi de France, Charles VIII.
Dès le premier vers, le poète installe la chute de la météorite dans l’ordre du merveilleux : « Celui qui se réjouit des merveilles des temps passés devrait les mesurer à celles du temps présent ». Il invoque ensuite d’autres phénomènes surnaturels qui se seraient récemment produits : « Alors, pendant le règne de Frédéric II, un nuage d’orage expulsa une grande pierre, marquée d’une croix et d’autres signes secrets ». Pour Brant, cela ne fait pas de doute, les adversaires de Maximilien ont du souci à se faire car la chute est l’annonciation « d’un important événement futur qui, j’en prie Dieu, terrassera nos ennemi. »

Le 26 novembre, près de trois semaines après la chute, Maximilien, entre dans Ensisheim et fait amener la mystérieuse pierre au château. Après plusieurs jours de délibération, ses conseillers interprètent la chute comme un présage favorable dans la perspective de la lutte contre les Français. Rassuré, Maximilien prélève deux morceaux de la météorite, et part immédiatement en campagne. Le reste de la pierre est restitué aux habitants d’Ensisheim qui l’enchaînent dans le chœur de l’église, où elle restera jusqu’à la révolution française.
De fait, Maximilien bat les armées du roi de France lors de la bataille de Dournon le 17 janvier 1493. Cette victoire donne l’occasion à Brant de publier une nouvelle feuille volante sur la météorite à la fin de l’année 1493. Le savant rend bien sûr la pierre responsable de la victoire de Maximilien. « Comme je vous l’ai déjà dit / La pierre ne ment jamais, / La pierre qui tomba devant Ensisheim, / Et la faveur qu’elle vous apporta cette année / Vous suivra et / Vous sera fidèle jusqu’à la fin de votre vie ».
La chute de pierres du ciel fait donc partie de l’univers mental des hommes de la Renaissance. Plutôt que de l’envisager comme un phénomène physique dont il s’agit de comprendre les causes, ils considèrent qu’il s’agit d’un signe envoyé par Dieu aux hommes. Il ne s’agit pas d’expliquer mais d’interpréter. Cette attitude perdurera pendant tout le XVIe siècle.
Concomitante avec le développement de l'imprimerie, la chute d’Ensisheim a été représentée de nombreuses fois à la fin du XVe siècle, et pendant tout le XVIesiècle. Elle a été peinte par Albrecht Dürer qui a assisté à sa chute et a été suffisamment impressionné pour représenter des météorites dans plusieurs de ses gravures.
