Parmi les trésors de sa Galerie de Minéralogie, le Muséum national d’Histoire naturelle conserve d’authentiques joyaux issus des collections royales et impériales de la Couronne de France. L’émeraude dite « de la Couronne de Saint Louis », le « Grand Saphir de Louis XIV », les topazes du Brésil de l’impératrice Marie-Louise, ces pierres façonnées par l’homme ont traversé les âges pour nous transmettre ce que la nature a de plus rare et de plus précieux.
L'histoire des collections royales
L’histoire des Joyaux de la Couronne est pleine de troubles et d’illuminations. Ces gemmes historiques, symboles des fastes de la Cour, instruments de pouvoir politique et financier, volées puis retrouvées à la Révolution, entrent dans nos collections en 1792 sous Louis Jean-Marie Daubenton, minéralogiste et premier directeur du Muséum. Devenues objets de sciences naturelles, elles sont rejointes par un second lot issu des couronnes impériales, acquis en 1887.
Trésors de Rois
Jusqu’à François 1er, les joyaux sont la propriété des rois, et ils en disposent selon leur volonté. On en trouve des descriptions merveilleuses dans les testaments et inventaires qu’ils laissent à leurs héritiers : couronnes gemmées, ornements de tête, colliers, bijoux de doigts, pierres précieuses, pierres fines, perles et camées… Au-delà du faste, le rôle financier de ces joyaux est stratégique dans la conduite des affaires du Royaume. Donnés, mis en gage, volés, retrouvés, vendus, ils furent largement dispersés pendant les guerres de religions, à la Révolution et au cours de la IIIe République.
La fondation de la collection
C’est en 1530 que François 1er réunit les bijoux les plus rares de sa collection sous le nom de « bagues de la couronne de France », et les déclare inaliénables. Les joyaux deviennent un bien d’État, et les héritiers de la Couronne n’en auront plus que l’usufruit. Un inventaire, réalisé en 1570, évalue le trésor à 567 852 écus d’or. Cependant les goûts et la mode évoluent, et des modifications ne tardent pas être apportées aux parures. On change l’ordre des pierres dans les colliers, on n’hésite pas à démonter diamants, rubis et émeraudes pour orner de nouvelles pièces.
Grande Émeraude qui aurait figuré sur la couronne de Saint Louis © MNHN - François Farges
Couronnes sacrées
La couronne du sacre disparaît pendant la ligue de 1590, on lui substitue la couronne de la Reine qui ceindra Louis XIII sous le nom de Couronne dite de « Charlemagne ». Mais déjà, son port n’est plus à la mode. Dans les peintures officielles, on place la couronne sur un coussin aux pieds du Roi, pendant qu’il pose en majesté, l’épée au coté, entouré d’étoffes précieuses. Parfois, le souverain y porte une main distraite. De sinistre mémoire, on se souvient de la célèbre phrase de Louis XVI qui dira à son propos : « elle me gène »…
Les diamants du Roi Soleil
Au XVIIe, Louis XIV possède la plus belle collection de diamants en Europe. Le jeune roi hérite des dix-huit diamants que Mazarin lui lègue sur son lit de mort, à condition qu’ils portent son nom et qu’ils soient conservés intacts. Cette promesse sera cassée par Louis XV. Comme le cardinal, Louis XIV a la passion des pierres précieuses qu’on négocie pour lui auprès des marchands aux longs cours. C’est ainsi qu’il acquiert le fameux Grand Saphir de 135 carats que vous pouvez contempler dans nos collections et le mythique diamant bleu dont le Muséum possède l’unique moulage. Ce diamant, volé en 1792, sera retaillé pour donner le diamant « Hope ».
Le Régent
Le Régent rejoint les Joyaux de la Couronne en 1717. Dans ses Mémoires, Saint-Simon décrit ce diamant extraordinaire : « Il est de la grosseur d’une prune de la Reine Claude, d’une forme presque ronde, d’une épaisseur qui répond à son volume, parfaitement blanc, nuage et paillette, d’une eau admirable, et pèse plus de cinq cent grains. » Le Régent sera le bijou fétiche des futures têtes couronnées. Napoléon 1er fait monter sur son épée de sacre, Marie-Louise l’emporte en exil, il orne la couronne de Charles X et le diadème grec de l’impératrice Eugénie. Il est conservé au Louvre.
Les retailles de Louis XV
Les contributions de Louis XV sont plus controversées. Il fera retailler les Mazarins en brillant, un « massacre » qui accable encore les historiens. On lui doit cependant la création de la Toison d’Or, un chef d’œuvre fondateur de la haute joaillerie française qu’il fait décliner en deux versions : une parure blanche et une parure de couleurs où sont montés le Grand Diamant bleu de Louis XIV et la Côte-de-Bretagne retaillée en dragon cracheur de diamants rouges.
Le vol des joyaux
À la Révolution, l’inventaire que publie l’Assemblée nationale compte 9 547 diamants, 506 perles, 230 rubis et spinelles, 71 topazes, 150 émeraudes, et 35 saphirs. Attirés par ce butin, des voleurs parviennent à s’introduire dans le Garde-Meuble national (actuellement Hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris). 9 000 pierres précieuses seront dérobées entre le 11 et le 16 septembre 1792. Les experts évaluent ce vol à un demi milliard d’euros. Le 16 septembre, après une dernière nuit de ripaille dans la salle des bijoux, une poignée de larrons est arrêtée. Ceux qui n’ont ni complices, ni bijoux à livrer sont rapidement jugés et exécutés. La plupart des joyaux seront retrouvés au terme d’une enquête de deux ans, mais la Toison d’or a été dépecée, et on perd la trace du Grand Diamant Bleu de Louis XIV.
Instruction publique
Pour nous, l’histoire commence en 1796, quatre ans après que le Cabinet du Roi soit renommé Muséum d’Histoire naturelle. Daubenton est invité à choisir une série de gemmes dans l’ancienne collection royale. Parmi les pierreries que son œil exercé a retenu pour « l’instruction publique », les citoyens peuvent admirer le « Grand Saphir » de Louis XIV, la « Sphère de Cristal de Roche » qui ornait la chapelle de Richelieu en 1791, la Grande Topaze du Brésil, La Grande Émeraude qui aurait figuré sur la couronne de Saint Louis, et des joyaux confisqués dans l’entourage de Louis XVI comme le délicat diamant Jonquille de J. M de Bourbon de Penthièvre.
Grand Saphir de Louis XIV © MNHN - Bernard Faye
Graines minérales
Les vitrines de minéralogie côtoient les collections de médecine apothicaire de l’ancien Droguier du Roi. À l’époque, on cherche à savoir si les principes de la reproduction du vivant s’appliquent au monde minéral. On « dissèque » les cristaux à la découverte d’une « graine minérale » et des preuves de leurs « fornications » telluriques. C’est René-Juste Haüy, qui fera avancer l’étude de ces minéraux, décidément trop chastes, en établissant une classification inspirée de la chimie de Lavoisier et de ses recherches. Il définit le concept d’espèce minérale, croisement entre composition chimique et structure cristalline, une notion encore utilisée aujourd’hui. Haüy démontre aussi que les formes des cristaux ne sont pas aléatoires mais répondent aux règles de la géométrie.
Les acquisitions du XIXe siècle
En 1887, la vente des Joyaux de la Couronne finit de disperser les bijoux mais bénéficie à nouveau au Muséum. De magnifiques pièces issues des couronnes impériales et royales entrent dans les collections : un diamant plat dit en « portrait » et dix-huit topazes roses ayant appartenu à l’Impératrice Marie-Louise, douze améthystes d’une parure confectionnées pour Marie-Louise et réutilisée reprises par la reine Marie-Amélie de Bourbon-Siciles, une grande opale de Hongrie achetée par Louis XVIII et portée par Charles X lors de son sacre, trois diamants en briolette et deux grandes perles attribués à Marie-Antoinette mais qui semblent plutôt d’origine impériale, et pour finir, la grande émeraude dite « de Louis XIV ».
Grande opale du manteau de sacre de Charles X © François Farges
Minéralogie patrimoniale et simulations 3D
Après la découverte du moulage en plomb du Grand Diamant Bleu de Louis XIV en 2007, le Muséum retrouve et acquière les moulages des principaux diamants royaux : la « Fleur de Pécher », le « de Guise », les dix-huit diamants de Mazarin, et le « Beau Sancy », vendu en 2012 et moulé grâce à l’aide de Sotheby’s et du joaillier Herbert Horovitz. Ces recherches patientes dans les archives et la fabrication d'une série de répliques en zircone, réalisées pour certaines à partir de leurs modèles numériques permettent d’éclairer l’histoire des Joyaux sous un nouveau jour.
Vertige géologique
On dit que les diamants sont éternels, mais il faut être géologue ou bouddhiste pour appréhender l’âge de ces fragments d’éternité sans craindre le vertige. Pour les autres, il faut se tenir prêt à descendre une échelle qui dépasse le temps humain et nous ramène aux premiers âges de la Terre.
Les milliards d’années
Vue par les géologues, l’histoire des Joyaux de la Couronne ne correspond qu’à une infime partie du temps qu’ils ont traversé pour arriver jusqu’à nous. Après les travaux de B.B. Boltwood sur la datation isotopique uranium-plomb en 1907, il faut attendre le début des années 60 pour que la géochronologie permette d’évaluer l’âge des diamants avec moins d’approximation. On estime par exemple que le Grand Diamant Bleu aurait cristallisé il y a 1,1 milliards d’années dans la lithosphère, vers 150 kilomètres de profondeur sous la région de Golconde dans le centre de l’Inde. On comprend aussi pourquoi les diamants sont restés une valeur sûre, surtout quand des savants fous s’amusent à les synthétiser à partir du beurre de cacahuète.
La cristallisation
Pour comprendre la rareté des diamants naturels, on peut les comparer à leur parent « pauvre » : le graphite, l’autre forme minéralogique du carbone pur. Alors que les atomes du graphite forment des feuillets faiblement liés entre eux, chaque atome de carbone d’un cristal de diamant est très fortement lié à ses voisins. Sur notre planète, la pression nécessaire à cette cristallisation est atteinte entre 150 km et 250 km de profondeur. Elle nécessite aussi la réunion de plusieurs autres conditions rarissimes : une lithosphère épaisse de 200 à 250 km, du carbone en abondance, et une sorte de véhicule pour remonter les cristaux vers la surface. Cet « ascenseur à diamants » est la kimberlite, une roche volcanique tout aussi rare et au tempérament explosif.
Voyage explosif
Il peut se passer des millions d’années avant qu’un « point chaud » volcanique ne déclenche la formation et la remontée du magma kimberlitique, car les diamants ne cristallisent pas dans la kimberlite, ce sont des enclaves arrachées par le magma au début de son ascension. Grâce à la détente des gaz, leur vitesse peut atteindre plusieurs dizaines de kilomètres par heure, entraînant une décompression trop rapide pour que les diamants aient le temps de se transformer en graphite. Les kimberlites et les diamants qu’elles contiennent cheminent le long de conduits cylindriques, les pipes, qui sont ensuite exploités à ciel ouvert, ou dans des mines lorsque la profondeur à atteindre est devenue trop grande. Une grande partie des diamants provient aussi de l’érosion de ces kimberlites. Au cours de leur voyage, les sables diamantifères sont débarrassés des minéraux les plus fragiles et les diamants inusables se déposent dans le lit de certains fleuves, et parfois sur des plages comme en Namibie.

Le prix de l’exploitation
Dans le monde, dix millions de personnes vivent directement ou indirectement du commerce des diamants. Pour lutter contre la misère et la corruption, une organisation de certification des diamants bruts, le Processus de Kimberley, réunissant des gouvernements et des industriels de 81 pays, a été mise en place en 2003. Elle interdit le commerce des diamants produits dans les zones de guerre, les « diamants de conflits » dont on a montré le rôle dans le financement des guérillas notamment en Afrique. Aujourd’hui une majorité des diamants provient de régions pacifiées mais la condition des mineurs dans de nombreux pays comme le Zimbabwe, la Sierra Leone, la République démocratique du Congo ou l’Angola, reste encore très difficile. Un rapport de 2009 estimait qu’en Sierra Leone, un mineur sur 4 était un enfant, leur part s’élève à 46% dans les provinces minières d’Angola. En République démocratique du Congo, le salaire des mineurs ne dépasse pas 100 dollars par an. Quand on connaît le prix de vente des diamants, on mesure le chemin qui reste à parcourir pour rendre le commerce des pierres précieuses plus équitable.
Petite histoire du brillant
L’art lapidaire se développe en Occident entre les mains d’artisans habiles qui cherchent les interactions entre la matière et la lumière. Des diamants « noirs » du Moyen-Âge aux reconstitutions virtuelles du XXe, voyons comment se travaille le brillant.
Préhistoire de la taille
On estime que les premiers diamants ont été extraits il y a 3 000 ans en Inde. Dans l’Antiquité, les hommes leurs attribuent des vertus magiques et curatives, et on craint d’altérer leur pouvoir en les taillant. En Asie, on commence à utiliser les diamants pour percer des pierres moins dures comme le saphir, le rubis ou l’agate. L’art de la taille se développe en Europe à partir du Moyen-Âge, notamment à Paris où de nombreux « moulins à diamants » permettent d’« égriser » les gemmes pour créer des facettes simples après une lente abrasion. Enviée et redoutée, la responsabilité du « joaillier ordinaire du Roi » est à la hauteur des gemmes onéreuses qui lui sont confiées.
L’art des lapidaires
Le carcan d’Anne de Bretagne est souvent cité comme un curieux monument de l’art lapidaire de son temps. Il figure dans le fonds historique des Joyaux de la Couronne constitué par François 1er en 1530. Ce collier, serti de 11 diamants et de 14 perles rondes, réunit la tradition médiévale : pointes triangulaires et pyramidales, pointes à deux faces, tables taillées à plein fond, et des nouveautés qui anticipent la Renaissance dont un diamant « en cœur » présenté la pointe en dessous, une rareté. Portés, ces diamants renvoyaient de vifs faisceaux dont les souverains s’amusaient à éblouir leurs courtisans, mais ces éclats trop brefs ont semble-t-il compliqué le travail de perception des peintres.
Diamants « noirs »
Dans la restitution que donne le peintre Bourdichon du carcan en 1508, les diamants apparaissent comme des petits morceaux de verre noir à côté des perles de culture délicatement nacrées. Au XVIIe siècle, les peintres n’ont pas encore la compréhension des phénomènes optiques qui explique la brillance des diamants, pourtant, les techniques de taille progressent. Le « Beau Sancy » acquis par Henri IV introduit un des premiers facettages stellaires dès 1583. Il apparaît grisâtre sur la couronne de sacre de Marie de Médicis, peinte par Frans Pourbus le Jeune. À partir de 1640, les joailliers multiplient les facettes pour faire entrer la lumière mais les « Mazarins » restent gris et sans éclat dans les portraits de Marie-Thérèse d’Autriche par Mignard. On peine à expliquer ces résultats autrement que par une méconnaissance des lois optiques, à une époque où les peintres excellent dans l’art de rendre la finesse des dentelles, le moiré des tissus, et la transparence des gouttes d’eau sur les coupes de cristal.
Premiers grands brillants
Le Grand Diamant Bleu de Louis XIV est le premier diamant décrit comme « à la mode », c’est à dire brillanté des deux côtés dans l’inventaire de 1691. Jean Pittan le Jeune (v. 1617-1676), l’un des joailliers de Louis XIV, supervise cette taille périlleuse pendant trois ans, possiblement influencé par les découvertes de Newton sur la réfraction du spectre lumineux. Pour dompter les « feux », ces arcs-en-ciel de couleur qui se répercutent dans les cristaux taillés, Pittan établit des angles de taille à 26 degrés qui « piègent » la lumière à l’intérieur du diamant avant de la renvoyer en direction de l'observateur. Ses inventions vont influencer la taille en brillant et la retaille de certains Mazarins sous Louis XV. Malgré ce nouveau facettage, ils restent sans éclat dans le portrait du Roi réalisé par Vincent Montpetit en 1773. Il faut attendre la fin du XVIIIe, l’essor des sciences minérales, puis le talent de Ingres pour que les diamants subliment enfin les couches d’huile, et que le « Régent » commence à briller sur l’épée du consul Bonaparte.
Le « Brillant Tolkowsky »
Au XIXe, les diamants deviennent un luxe de grands bourgeois. L’optimisation des angles et des facettes se poursuit pour aboutir à la fameuse « taille idéale » mise au point en 1919 par Marcel Tolkowski. Ce diamantaire belge, passionné de mathématiques et de physique, décrit le brillant parfait dans son livre Diamond Design. Sa forme est ronde formée de 57 ou 58 facettes, avec « pour la couronne : 1 table, 8 bezels, 8 étoiles, et 16 haléfis et pour la culasse : 8 pavillons et 16 haléfis ». L’angle du pavillon est fixé à 40°', celui de la couronne à 34°30', le rapport de la table au reste du diamant est de 53%. Cette coupe permet d’obtenir deux pierres taillées avec un minimum de perte de matière. Le « Brillant Tolkowsky » est encore aujourd’hui un standard de la bijouterie.
Le culte des diamants « blancs »
Au XXe siècle, la représentation des diamants reste problématique. Alors que la photographie permet enfin de capter le phénomène des feux, ces éclats de couleurs sont rarement conservés dans l’iconographie de la haute joaillerie. Par un étonnant consensus esthétique, photographes et bijoutiers ont pris l’habitude de décolorer les diamants, et de passer leurs éclairs bleus, jaunes ou roses en « niveaux de gris ». Ce culte des diamants blancs paraîtra sûrement aussi étrange aux observateurs du futur que le sont pour nous les diamants noirs des peintures du Moyen-Age.
Reconstitutions
Au Muséum national d’Histoire naturelle, les scientifiques qui cherchent à reconstituer l’apparence des Joyaux de la Couronne sont confrontés à deux problèmes. Le premier tient à la rareté de leurs représentations expliquée, en partie, par le fait que les joyaux étaient souvent laissés en gage ou hypothéqués. On n’a retrouvé, par exemple, aucun portrait de Louis XIV avec son Grand Diamant Bleu. La deuxième difficulté tient à la fidélité de ces représentations. Dans bien des cas, la restitution des peintres est approximative voir fantaisiste, comme celle de la Toison d’Or peinte par Carle van Loo en 1750, et on ne peut s’y fier. Pour les joyaux disparus ou retaillés, seul un minutieux travail de recherche dans les archives permet de confronter leurs descriptions avec les moulages que les joailliers nous ont laissés.
Hightech du brillant
Dans les années 2000, les logiciels de simulation 3D viennent soutenir ce travail. La reconstitution virtuelle d’un joyau commence par un scan précis du moulage. Ce scan établit son facettage et permet de déterminer les plans de clivage et l’ordre dans lequel les différentes parties ont pu avoir été taillées. La deuxième étape consiste à simuler la couleur du diamant au terme de calculs complexes prenant en compte sa spectrométrie mais aussi sa composition chimique et moléculaire. Une troisième étape établit les effets de la lumière dont on sait qu’elle influence non seulement l’éclat mais aussi la couleur finale de la gemme. Ces données sont entrées dans un logiciel qui va calculer le rendu photoréaliste du bijou, et permettre sa visualisation selon différents angles de vues. Ces calculs ont ainsi permis de reconstituer la réplique du Grand Diamant Bleu en 2007, et celle des Mazarins dont une grande partie a disparu au XIXe siècle.
Hyperréalisme
Aujourd’hui les simulations virtuelles des joyaux nous confrontent à une nouvelle limite de la perception qui ne tient plus à la pauvreté mais à la surabondance des données qui prennent l’œil d’assaut : trop de feux, trop de netteté, trop de précision, donnent parfois à ces restitutions un éclat d’irréalité. Aujourd’hui, l’informatique a pris une place stratégique dans l’industrie diamantaire. Elle permet d’optimiser les tailles et de réaliser des coupes au laser parfaites sans intervention de la main de l’homme. Les bijoux anciens avec leurs imperfections apparaissent encore plus précieux au regard de cette production standardisée.
Mini-lexique de la taille
- Brillance : action de la lumière blanche réfléchie à travers la partie supérieure d’un diamant
- Feux : action de la lumière colorée réfléchie de l’intérieur un diamant
- Éclat : combinaison des feux et de la brillance d’une gemme
- Clivage : opération qui consiste à séparer une pierre brute en deux ou plusieurs morceaux selon une orientation dictée par sa structure cristalline
- Débrutage : opération entreprise avant le facettage pour arrondir les bords d’un diamant brut
- Rondiste : diamètre de la pierre délimité au moment du débrutage
- Haléfis : petites facettes symétriques qui longent le rondiste d’un diamant en taille brillant
- Bezel : rebord qui entoure un joyau
Le spectre du Diamant Bleu de Louis XIV
Nous allons maintenant parler d’un grand absent, un joyau dont il ne nous reste que le moulage en plomb retrouvé par Jean-Marc Fourcault et le minérologue François Farges dans les réserves du Muséum en 2007. Le chercheur identifie aussitôt ce plomb au Grand Diamant Bleu de Louis XIV, volé à la Révolution et que la rumeur associe au Hope, le célèbre diamant bleu exposé au Smithsonian de Washington. Cette découverte va permettre d’apporter la preuve de leur parenté, car un autre diamant bleu, le Terenschenko, lui dispute cette origine royale.
Le butin de Tavernier
En 1668, Jean-Baptiste Tavernier rentre d’un long voyage qui l’a mené en Inde dans la vallée des diamants de Golconde. Le marchand a négocié un millier de gemmes fabuleuses qu’il destine au roi. Parmi elles, un diamant exceptionnel de 115,4 carats (environ 23 gr) à la « teinte céleste » attire l’attention de Louis XIV. La légende rapporte que la pierre aurait été dérobée sur une statue de la déesse Sitâ, et que le voleur, enfermé toute la nuit dans le temple, aurait été frappé par la foudre au petit matin. En Inde, le pouvoir des diamants bleus est redouté, on suppose même que Tavernier aurait profité de la défaveur du diamant pour l’obtenir à bon prix. Mais l’homme est habile, et il sait que le bleu est avec l’or, la couleur emblématique de la monarchie française. C’est sous la supervision de Jean Pittan, marchand et joaillier alors très en vue, que commence la retaille du diamant.
Cosmogonie Bling Bling
Louis XIV va faire du diamant bleu un des symboles de son règne. À commencer par le soleil à 7 branches qui fait rayonner son centre. Le 7, évoque le diadème aux 7 rayons d’Hélios et le chiffre d’Apollon, sa divinité fétiche. Dans les descriptions des inventaires, François Farges découvre que le diamant était présenté sur un « bâton d’or emmaillé par derrière ». Il en déduit que l’or du serti se reflétait dans le coeur du bijou pour donner l’illusion d’un soleil au centre d’un ciel bleu. Une simulation photoréaliste basée sur la spectrométrie du diamant Hope, nous restitue cette vision. Cette mise en scène héliocentrique est aussi une affirmation du pouvoir royal face au Vatican et ses partisans à la Cour.
Diamant bleu retaillé serti d’or © MNHN - François Farges
Le spectre du diamant bleu
Après plusieurs mois d’analyses, le scan du plomb rend enfin ses secrets. Il révèle 20 facettes inconnues à l’arrière du diamant et permet de reconstituer l’aspect du joyau avant son vol. La superposition numérique du facettage du plomb et celui du « Hope », montre le travail de retaille assez grossier qui a été opéré. Les « barbares » se sont contentés de supprimer les trois pointes et de modifier l’épaisseur du bijou de quelques millimètres. Le diamant bleu du Roi-Soleil est méconnaissable. Il réapparait officiellement en 1839 dans la succession de Henri-Philippe Hope, le fils d’un banquier londonien. Au cours de son enquête, François Farges va retrouver deux documents qui laissent supposer qu’il est le commanditaire de cette retaille. Le premier est la description du « modèle en plomb d’un diamant remarquable pour sa limpidité », appartenant à « M. Hoppe de Londres » dans sa fiche archivée au catalogue d’inventaires du Muséum. La seconde est une lettre conservée au Geological Survey de Washington, signée d’un joaillier londonien réputé pour sa discrétion, qui décrit fidèlement le diamant Hope. La correspondance est datée du 19 septembre 1812, presque 20 ans jour pour jour après le pillage du Garde-Meuble. La période de prescription du vol est passée, et le joyau peut commencer sa seconde vie en toute légalité.
Moulage en plomb et Hope © François Farges - MNHN - Smithsonian institution
La malédiction du « Hope »
Si on croit la légende, le « Hope » n’aurait semé que le malheur sur son passage. Il faut dire qu’une suite d’événements dramatiques ont accablé ses propriétaires : faillite, suicide, folie, noyade, on l’accuse d’avoir ruiné deux bijoutiers new-yorkais, et du meurtre d’une danseuse des Folies Bergères. Evalyn Walsh McLean, la milliardaire américaine qui achète le diamant à Cartier en 1911, défie la malédiction pendant trente six ans au cours desquels elle perd deux enfants et un mari qui finit à l’asile. Dans les faits, la « malédiction » accuse autant les mœurs dissolues de ses propriétaires et les aléas de l’économie, que les retours vengeurs du karma. Surtout elle a épargné le principal intéressé, Tavernier, mort à 84 ans et non pas dévoré par un loup, un tigre et diverses bêtes sauvages comme on peut le lire dans certains récits.
Une Joconde américaine
Une chose est certaine, le « Hope » a porté chance au Smithsonian. Chaque année, le diamant attire 8 millions de visiteurs dans la galerie Harry Winston, le joaillier qui le cède au Muséum en 1958. Il est l’objet d’art le plus visité dans le monde ex-aequo avec Mona Lisa, une sorte de Joconde américaine, en plus expressif. Parmi les milliers de personnes qui se pressent tous les jours devant sa vitrine, peu l’ont approché suffisamment près pour découvrir son dernier secret. Il apparaît que la retaille a beaucoup assombri la pierre et qu’un spot de lumière assez bleutée, discrètement braqué sur le bijou, soit nécessaire pour le garder à la hauteur de sa réputation.
Adieu « French Blue »
Si la matière du « Hope » appartient théoriquement à la France, il y a peu de chance qu’il nous revienne un jour, même après la découverte de 2007 qui valide son antériorité royale. Les plus imaginatifs pourront se consoler en allant admirer le plomb et les répliques officielles qui font renaître le joyau perdu dans notre Galerie de Minéralogie. Aux amateurs de pittoresque, on recommande la réédition en DVD du Hope Diamond Mystery, une série de 1921 qui raconte sa légende et ce qu’il en coûte de marauder les trésors des déesses indoues.
The Hope Diamond Mysteries - affiche du film - 1921
Le grand saphir
On a longtemps associé le Grand Saphir au nom d’un prince italien, Francesco Maria Ruspoli, qui vécut au XVIIe siècle, sa véritable histoire est encore plus mystérieuse que sa légende.
L’autre grand bleu de Louis XIV
Le Grand Saphir est la plus belle pièce des Joyaux de la Couronne que vous pourrez contempler au Muséum. Aux yeux d’un visiteur moderne, sa forme en losange et son bleu intense lui donnent une apparence quasi-extraterrestre. Si vous vous laissez subjuguer par sa beauté, sachez qu’elle doit tout à la géologie terrienne. Avec ses 135 carats, il était probablement le plus grand saphir connu au XVIIe siècle. Sa taille en rhomboïde a longtemps laissé penser qu’il s’agissait d’un saphir brut. Que Nenni.
La légende du Ruspoli
Une autre légende voudrait qu’il ait été découvert par un modeste vendeur de cuillères en bois au Bengale. Il serait ensuite entré en possession de Francesco Maria Ruspoli, un prince italien, mécène de Haendel, avant d’appartenir à Louis XIV. En vérité, cette acquisition ne doit rien au sieur Ruspoli dont le nom lui est encore associé. D’après François Farges, l’erreur viendrait d’un récit de Charles Barbot qui en 1858 évoque deux saphirs exposés au Muséum. Cet historien aurait confondu la description du Grand Saphir de Louis XIV avec une réplique du saphir de Ruspoli qui était présentée à ses côtés. Cette confusion s’est perpétuée dans les récits jusqu’à aujourd’hui, au grand dam des lecteurs de Wikipédia.
Un don mystérieux
La véritable origine du Grand Saphir est encore plus mystérieuse que sa légende. Nous savons que son acquisition est contemporaine du Diamant Bleu de Tavernier, nous tenons aussi pour certain qu’il s’agit d’un cadeau fait au roi car aucune somme ne lui est associée dans les Livres de Pierreries de la Couronne. Une hypothèse voudrait qu’il ait été offert au Roi par le fameux David Bazu, un grand joaillier d’Amsterdam qui accompagnait Tavernier dans ses expéditions, en reconnaissance des nombreux achats du souverain.
Pharmacopée universelle
Posés l’une à côté de l’autre, la réplique du diamant de Tavernier, taillée en symétrie, et le Grand Saphir montrent une analogie stylistique étonnante. Mais la comparaison s’arrête là, et le sort réservé aux deux bijoux sera très différent. Le diamant de Tavernier est rapidement confié à Pittan qui réalise sur lui une taille sophistiquée, tandis que le Grand Saphir est conservé en l’état. Ici, Louis XIV semble agir en naturaliste dans sa volonté de ne pas toucher à la gemme. On suppose qu’il était peut être réservé à un usage médicinal. Lemery dans sa Pharmacopée universelle recommande justement l’apposition d’un saphir sur les bubons causés par la peste.
Le poli de l’art
Sous Louis XV, le Grand Saphir échappe de justesse à un projet de retaille. C’est finalement le diamant bleu qui est choisi pour orner la Toison d’Or de couleur. Comme le diamant bleu, il manque à l’appel après le vol de 1792, mais réapparaît dans l’inventaire de décembre. En 1796, il est choisi par Daubenton pour enrichir les collections du Muséum.
À l’époque, on comprend encore mal la morphologie des cristaux et ce qui différentie un cristal naturel d’une gemme taillée de manière aussi peu conventionnelle. Dans son traité de Cristallographie, Romé de l’Isle le classe d’abord comme un cristal naturel, puis se ravise dans la seconde édition et lui reconnaît « le poli de l’art », avant de déclarer qu’il s’agit d’un cristal naturel en 1787. Le cas du Grand Saphir est un assez symptomatique des errements scientifiques qui animèrent les joailliers et minéralogistes de l’époque.
La piste du vrai Ruspoli
La trace du Ruspoli quand à elle, se perd dans l’histoire récente. On le retrouve dans la collection d’Henry Philipp Hope, celui-là même qui s’enticha du diamant bleu de Louis XIV. Il passe chez les russes, plus particulièrement chez les Romanov avant d’atterrir en Roumanie après la Révolution bolchévique. De là, une autre Révolution aidant, Iléana de Roumanie le revend en 1950 à un grand joaillier américain. Depuis, le Ruspoli se terre dans un coffre-fort en attendant une vente qui lui permettra de refaire surface.

Les joyaux de Marie-Louise
Pour cette dernière évocation, nous allons rêver dans la collection des joyaux de l’Impératrice Marie-Louise, la seconde épouse de Napoléon, dont le Muséum présente des pièces merveilleuses : un diamant en « portrait » d’une eau limpide, et dix-neuf topazes roses du Brésil.
Fonds de l’ancien trésor
Quand Napoléon arrive au pouvoir, les joyaux de l’État n’ont pas été portés depuis 1792. Il ne tarde pas à renouer avec la tradition monarchique, et se montre particulièrement généreux avec Joséphine qui raffole des bijoux. La première impératrice disposera d’une large partie des joyaux jusqu’à leur divorce. Parmi les pierres historiques de la collection, on retrouve plusieurs diamants issus de l’ancien trésor, le « De Guise », le « Fleur de Pêcher », un diamant rose à 5 pans, renommé « Diamant Hortensia », et divers diamants du cardinal Mazarin auxquels s’ajoutent des pièces saisies aux nobles émigrés et au Roi de Sardaigne. Sans oublier le Régent que Napoléon fait enchâsser dans son épée de sacre en 1803.
La grande parure de diamants
En avril 1810, Napoléon épouse en seconde noce Marie-Louise, fille de l’Empereur d’Autriche et petite nièce de Marie-Antoinette. Pour elle, il commande aussitôt quatre parures au joaillier François Regnault Nitot, qu’il verse au Trésor en janvier 1811. Les trois premières, une parure de perles, une grande parure de rubis d’Orient et diamants, et une parure en turquoises et diamants, sont montées avec de nouvelles acquisitions. La quatrième est une impressionnante parure de diamants qui regroupe un flot de gemmes acquises pour l’occasion, et des joyaux de l’ancien trésor. Sur le diadème, on retrouve le « Fleur de Pêcher », le « Grand Mazarin » et le « huitième Mazarin » au milieu d’une montagne de 1514 diamants estimée à 830 carats. Le « De Guise » trône au centre du collier.
Le Diamant-Portrait
La parure comprend aussi un peigne, une ceinture, et deux diamants plats montés en « portraits » sur des bracelets sertis de brillants. C’est la plus grosse de ces deux pierres que le Muséum reçoit en dépôt en 1887, un diamant de plus de 9 carats d’une eau très pure. Dans son anthologie des « Joyaux de la Couronne », Bernard Morel décrit le bijou dont « la base était polie à plat et la table supérieure parallèle » reprenait « presque toute la surface de la pierre ». Le portrait, « une toute petite miniature qu’on voyait par transparence », était placé sous le diamant. Il fallait donc qu’il soit parfaitement limpide pour laisser voir l’image qu’on lui confiait. Un tableau de Joseph-Boniface Franque semble montrer le bracelet au poignet de l’Impératrice « veillant sur le sommeil du roi de Rome », mais la précision du motif ne permet pas de savoir s’il s’agit d’une image de l’Empereur ou de leur fils.
Le Grand Diamant-Portrait de Marie-Louise d’autriche © MNHN - François Farges
La parure de topazes roses
Napoléon fera aussi don de nombreux bijoux personnels à Marie-Louise. Parmi ces gemmes, la parure de topazes roses est peut-être le signe le plus intense de la passion de l’Empereur pour sa jeune femme. On peut voir l’Impératrice avec son magnifique collier en « Rubis du Brésil » taillés en coussins baroques dans un tableau de Gérard. Cette variété de topaze est devenue extrêmement rare à l’état naturel. Nous savons qu’elles sont originaires d’Ouro-Prêto dans la région de Belo Horizonte et qu’elles proviennent d’un excédent de pierres non montées, séparé en deux lots qui ont été léguées au Muséum et à l’École des Mines en 1887. Nous les réunissons pour la première fois dans l’exposition « Trésors de la Terre » grâce au prêt généreux de Mines ParisTech. En 1814, les historiens ont estimé que l’« écrin personnel » de Marie-Louise avait une valeur de plus de 2 millions de francs-or. Contrairement aux Joyaux, ces gemmes non versées au Trésor, resteront sa propriété après l’abdication.
Grande Parure de Topazes roses de l’Impératrice Marie-Louise. Peinture de P. Guérin d’après Gérard © RMN-Grand Palais G. Blot
Fuite et restitution
Le 29 mars 1814, la France est envahie par les armées coalisées. Marie-Louise quitte Paris pour Rambouillet avec l’Aiglon. Bernard Morel raconte que l’Impératrice aurait insisté pour porter tous les bijoux sur elle de crainte que ses bagages ne soient attaqués par des bandits. Ne pouvant cacher l’épée de sacre où était incrusté le « Régent », elle aurait demandé à la faire couper pour ne garder que la précieuse poignée. Précaution inutile. Le 3 avril, Napoléon est déchu du trône, et le 6, la Constitution rétablit la monarchie des Bourbons. Dans une missive, il commande à sa femme de rendre les joyaux de la couronne emportés dans sa fuite. Elle s’exécute. Napoléon ne sait pas encore que Marie-Louise ne le rejoindra jamais sur l’Île d’Elbe. De retour dans le giron autrichien, l’Impératrice en débâcle reçoit la souveraineté de Parme et Plaisance, et y finira sa vie.
Épilogue
La fascination qu’exercent les Joyaux de la Couronne ne s’est pas éteinte avec la fin de l’Empire. De nombreuses pièces, dispersées pendant la grande vente de 1887, continuent d’être âprement recherchées par les collectionneurs. Par exemple, « La Fleur de Groseillier », une broche sertie de diamants issue d’une parure de l’Impératrice Eugénie a été adjugée 2 millions de dollars dans une vente aux enchères organisée par Christie’s. Une somme prodigieuse qu’on pourra éclairer par la lecture du « Soutra du Diamant », un texte essentiel du bouddhisme mahāyāna où s’exprime pour la première fois la nature paradoxale de ces fabuleux morceaux de carbone dont la contemplation illumine les sages et éblouit les fous.
Entretien avec François Farges
Ses simulations de bijoux disparus ont permis de semer des pépites de vérité dans l’histoire des Joyaux de la Couronne. On lui doit la redécouverte virtuelle du Grand Diamant Bleu et la preuve de sa paternité avec le Hope. Un documentaire retrace son enquête minutieuse, ainsi qu’un roman publié chez Michel Lafon. Avec tout ça, on oublierait presque que François Farges est aussi chercheur en minéralogie environnementale, une discipline essentielle à la compréhension des équilibres écologiques. Avant son départ pour Stanford, il a trouvé le temps de nous parler de ses découvertes et de la restitution de la merveilleuse Toison d’Or de Louis XV.
Quand le diamant bleu a été volé en 1792, il était serti sur la Toison d’Or de couleur de Louis XV…
Oui, et c’est un chef d’œuvre de la joaillerie française que nous avons perdu ce jour-là. Jamais on n’avait réuni autant de pierres exceptionnelles sur une même parure : à commencer par la Côte-de-Bretagne, un spinelle retaillé en dragon, et les deux diamants bleus qui dépasseraient en dimensions les plus grands diamants bleus connus aujourd’hui. On oublie que cette Toison était avant tout un insigne militaire marquant la mainmise des Bourbons sur l’Espagne, mais aussi un condensé d’histoire qui réunit la mythologie grecque de la Toison d’Or et la tradition de la chevalerie bourguignonne. En 1792, la Toison d’Or est littéralement dépecée par ses voleurs. Seul le dragon est retrouvé intact, et exposé au Louvre. Les deux diamants bleus de Louis XIV seront retaillés. Je suis sur la piste du second, et je crois bien avoir retrouvé quelques unes de ses traces. Nous avons entrepris la reconstitution de la parure de couleur en 2007 avec le joaillier genevois Herbert Horovitz, et nous l’avons présentée 218 ans après son vol, en 2010, à l’Hôtel de la Marine où se trouvait le Garde-Meuble. Pour l’heure, la Toison attend dans un coffre à Genève. Nous recherchons un mécène pour parer aux dépenses engendrées par sa restitution. Ces frais couvrent uniquement l’achat des matières premières : un verre qui a permis à Etienne Leperlier, grand maître verrier français, de créer une copie du dragon, les deux répliques des diamants bleus taillées par Scott Sucher, trois saphirs jaunes et une centaine de brillants en pierres de synthèse simulant parfaitement les sertis d’époque. On espère qu’elle trouvera bientôt sa place dans l’exposition permanente consacrée au diamant bleu dans la Galerie de Minéralogie.
Vous avez mis au point un protocole de simulation de la couleur des diamants à partir de leurs structures atomiques, vous pouvez nous en parler ?
Je travaille sur ce projet avec John Rehr, professeur à l’université de Washington à Seattle. D’abord il faut savoir que les diamants sont colorés par d’infimes impuretés, les traces de bore par exemple donnent des diamants bleus. Avec l’équipe de John, nous avons mis au point un protocole basé sur divers principes de mécanique quantique qui permettent de recalculer la couleur d’un minéral sur la base de sa structure atomique. Ce procédé nous permet ensuite d’appliquer cette couleur pour simuler le diamant facetté qui nous intéresse de façon photoréaliste. Car certains diamants retaillés amplifient les phénomènes de couleur ce qui nous aide à mieux comprendre ces effets. Nous sommes les premiers et les seuls à maîtriser ces techniques qui demandent des temps impressionnants de calcul à nos ordinateurs. Ce sont ces calculs qui ont aussi permis de montrer que le diamant « Hope » était l’avatar retaillé du diamant bleu de Louis XIV et ce, grâce à des anomalies de couleur du « Hope » que personne n’avait repérées. En ce moment, nous travaillons sur le fameux Tiffany, un diamant jaune canari de plus de 110 carats. Cette fois la couleur semble liée à l’azote mais motus, nous devons poursuivre nos calculs avant de pouvoir présenter cette hypothèse de façon plus formelle.
En parallèle de ces travaux, vous menez des recherches en minéralogie environnementale, une science souvent méconnue du public…
Peu de gens connaissent ce domaine de la minéralogie mais tout le monde a entendu parler des mines qui polluent l’environnement, comme en Guyane où des orpailleurs négligents empoisonnent les populations avec des poissons contaminés au mercure. Notre travail de chercheurs consiste à mieux comprendre les interactions entre les activités minières et les sociétés humaines. Heureusement, toutes les situations ne sont pas aussi dramatiques. Quand j’étais au Brésil en 2011, j’ai pu voir comment l’exploitation raisonnée des émeraudes a permis de réutiliser des roches « vidées » de leurs émeraudes comme engrais pour les plantations d’eucalyptus qui servent de charbon de bois aux mineurs. La minéralogie environnementale étudie aussi les relations entre le réchauffement climatique et la santé des coraux par exemple, ou l’impact des éruptions volcaniques sur le climat de la Terre. Les recherches climatiques ne peuvent se faire qu’en étudiant les matières minérales comme une composante essentielle des cycles de la nature. Il n’y a pas que la biodiversité à protéger. La géodiversité et la biodiversité se construisent ensemble. Nous marchons sur une terre minérale, nous buvons de l’eau minérale et sans les minéraux, pas d’os pour nous tenir debout ni de dents pour croquer du chocolat !