Le Trias, après la crise
Il y a environ 250 millions d’années, une extinction cataclysmique marque la transition entre l’ère paléozoïque et l’ère mésozoïque. La plupart des espèces présentes sur Terre sont anéanties. Mais au cours du Trias, la vie va reprendre ses droits.
Au début du Trias, la quasi-totalité des terres émergées forment un unique supercontinent dénommé Pangée. Entouré d’un super-océan, la Panthalassa, il enserre lui-même une sorte de mer, la Téthys. Dès la fin du Trias, le déplacement des plaques tectoniques fracture la croûte océanique d’est en ouest, séparant la Pangée en deux blocs : la Laurasie au Nord, le Gondwana au Sud.
l’extinction Permien-Trias : un monde bouleversé
Remontons dans le temps, 250 millions d’années en arrière. Le Trias (- 250 à - 200 millions d’années), première période de l’ère mésozoïque, s’ouvre sur une Terre dévastée. Que s’est-il passé et quelles sont les conséquences pour la biosphère ?
La Terre asphyxiée
Déplacements des plaques tectoniques, bombardement météoritique, changement climatique… les scientifiques débattent encore pour désigner les coupables mais ils s’entendent sur le suspect principal : une intense activité volcanique.
Qu'est-ce qu'une météorite ?
Depuis le centre de l’actuelle Sibérie, des éruptions se succèdent durant un million d’années, libérant de phénoménales quantités de lave – pas moins de 3 000 mètres d’épaisseur. Emplissant l’atmosphère et les océans de gaz toxiques, retombant peut-être même sous forme de pluies acides, ces éruptions font des ravages. La température augmente, participant à priver les océans d’oxygène. 70 % des espèces terrestres et 95 % de la vie marine sont ainsi anéanties. Ces empilements de lave basaltique solidifiée, ou trapps ("escaliers", en suédois), montrent l’étendue de l’éruption : jusqu’à quatre millions de m3 de lave se sont écoulés sur la Sibérie.
Cette extinction de masse est la troisième de l’histoire de notre planète et la plus importante. Elle est si cataclysmique que les scientifiques vont l’utiliser pour subdiviser le temps géologique, comme ils le feront avec d’autres crises massives. Ainsi, cette rupture porte le nom de crise Permien-Trias.
Un environnement remanié
Sur une planète formée d’un seul continent, la Pangée, et d’un vaste océan, la Panthalassa, la température globale moyenne s’élève de plusieurs degrés. Elle est de 19 °C environ, soit 4 °C de plus qu’aujourd’hui, et les calottes glaciaires ont disparu. Dans cet environnement essentiellement chaud et sec, la végétation résiste relativement bien à la crise, mais le paysage continue sa modification amorcée dès la fin du Carbonifère. On passe d’une majorité de plantes à larges feuilles, se reproduisant avec des spores libres, à des plantes se reproduisant majoritairement avec des ovules, aux feuilles plus petites et coriaces, mieux adaptées aux environnements arides. Des conifères, mais aussi des Ginkgos , des Cycas et des fougères arborescentes composent l’essentiel du paysage.
La vie reprend ses droits
Des espèces ont survécu. D’autres vont profiter du grand nombre de niches écologiques désormais vacantes et se développer. Lentement, la vie se régénère et se diversifie.
Survivre
Qui sont les espèces qui survivent à la crise ? Souvent celles qui sont peu spécialisées et se révèlent ainsi capables de résister à un fort stress environnemental en s’adaptant : un omnivore s’accommode mieux d’un changement de régime qu’un carnivore, un petit organisme a moins de besoins qu’un gros, etc. Parmi ces espèces survivantes, quelques synapsides, autrefois désigné comme "reptiles mammaliens" et jusque-là dominants chez les vertébrés terrestres. Ainsi, les thérapsides, comme Dicynodontia, parviennent à se maintenir et même à se développer. De leur groupe émergent les cynodontes, ancêtres des premiers mammifères. De petite taille, ils ont de la fourrure et leurs dents sont semblables à celles des chiens actuels.
Une faune transformée
La faune du Trias est radicalement différente de celle du Permien. Pour autant, en une dizaine de millions d’années, la biodiversité retrouve un niveau comparable à l’avant-crise. La vie reprend ses droits sous des formes inédites et spécialisées, suffisamment inventives pour coloniser des milieux extrêmement variés. Cette diversification massive et rapide des espèces porte le nom de "radiation évolutive".
Du changement chez les insectes
Les insectes typiques de l’ère paléozoïque, comme les emblématiques méganisoptères (dont la libellule géante Meganeura) , quittent le devant de la scène laissant une large place aux insectes à métamorphose (ou holométaboles) comme les guêpes, les abeilles et les mouches qui font leur apparition. De leur côté, certains insectes déjà présents, comme les coléoptères, dont le scarabée, en profitent pour se diversifier.
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L'effervescence
Disparition des espèces en compétition, changements climatiques : les reptiles profitent des bouleversements induits par la crise Permien-Trias pour rayonner dans les airs et dans les mers. Le Trias voit aussi un autre groupe prendre son essor et se diversifier : les archosaures, dont émanent aussi bien les reptiles crocodiliens et volants (ptérosaures) que des dinosaures.
L’âge d’or des reptile marins
Vidées de leur biodiversité par la crise, les étendues aquatiques du Trias sont autant de niches écologiques à conquérir. Suffisamment attractives pour que des espèces jusque-là terrestres retournent à la mer. Les premiers à se jeter à l’eau sont les reptiles, profitant notamment de la disparition des placodermes, ces poissons cuirassés aux puissantes mâchoires. Dans le grand océan qui entoure la Pangée ou dans la Téthys, sa pseudo-mer intérieure, on voit se multiplier des prédateurs marins de toutes tailles. Deux groupes principaux voient le jour et se diversifient dès le début du Trias : les ichthyosaures ("reptile-poissons") dont les nombreux fossiles indiquent que la taille varie de moins d’un mètre à plus de 20 mètres et les sauroptérygiens ("lézards à nageoires").
En quelques millions d’années à peine, ces espèces se transforment morphologiquement et physiologiquement pour s’adapter aux contraintes de la vie marine et des déplacements en milieu liquide : leur corps acquiert une forme plus hydrodynamique, leurs membres sont modifiés en palettes natatoires, ils s’adaptent à la salinité, à la plongée, etc. Maîtres d’une vie marine à nouveau foisonnante, ces reptiles marins côtoient poissons et requins, mais aussi céphalopodes, échinodermes (oursins et étoiles de mer), bivalves, etc qui prolifèrent à nouveau.
Palettes natatoires
Nageurs très actifs, les ichthyosaures bénéficient de modifications évolutives très poussées. Pour mieux s’adapter au milieu aquatique, leurs membres se sont transformés en palettes natatoires. Extrémités allongées, os aux formes arrondies, ces palettes sont aplaties et rendues rigides par un mouvent articulaire réduit.
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À l’image de ceux qui profitent de la disparition des prédateurs dans les mers, un autre grand groupe de reptiles va coloniser la terre ferme et les cieux. Vers 235 millions d’années, l’essor des archosaures va permettre l’émergence des ptérosaures, des crocodiliens et des dinosaures. Issus de gisements de fossiles sud-américains, les plus anciennes traces connues de ces derniers, dénommés "terribles lézards" indiquent des prédateurs bipèdes aux membres verticaux. Une posture qui semble avoir facilité le déplacement des dinosaures sur celui des crocodiliens, quadrupèdes dotés de membres latéraux. Plus mobiles, les dinosaures auraient été ainsi à même de mieux traquer leurs proies et fuir leurs prédateurs. Leur métabolisme à sang chaud leur aurait aussi permis un mode de vie plus actif. Ces atouts pourraient expliquer leur multiplication dans les périodes suivantes du Mésozoïque et, surtout, leur diversification rapide : dès 230 millions d’années, les deux grandes lignées des ornithischiens et des saurischiens sont déjà formées, tandis qu’à la fin du Trias, des théropodes carnivores comme Herrerasaurus cohabitent avec des sauropodes herbivores comme Plateosaurus.
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Une période instructive
Régénération, diversification : les processus à l’œuvre durant tout le Trias renseignent les paléontologues sur la capacité de la biosphère à récupérer après une période de profonds bouleversements environnementaux. Ils fournissent des données indispensables à la compréhension des crises biologiques, y compris celle à laquelle l’espèce humaine est confrontée actuellement : la sixième extinction.
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Le Trias dans l'histoire de la vie
Dossier rédigé en octobre 2023. Remerciements à Peggy Vincent, paléontologue spécialiste des reptiles marins du mésozoïque, chargée de recherche CR2P - UMR 7207, Nathalie Bardet, paléontologue spécialiste des reptiles marins, directrice de recherche CNRS CR2P - UMR 7207, André Nel, paléo-entomologiste, Professeur Institut de systématique, Evolution, Biodiversité - UMR 7205, Olivier Bethoux, paleontologue, chargé de la conservation des collections d'insectes préservés en empreintes, maître de conférence, CR2P - UMR 7207, Ronan Allain, paléontologue chargé de la conservation des collections de reptiles et d'oiseaux fossile, maître de conférence CR2P - UMR 7207, Florent Goussard, ingénieur d'études CR2P - UMR 7207, Anaïs Boura, paléobotaniste, maître de conférence CR2P - UMR 7207 pour leur relecture et participation.