L’explosion de la vie au Cambrien

Débutant il y a environ 539 millions d’années, le Cambrien est la première période géologique de l’ère Paléozoïque. L’explosion cambrienne y marque l’histoire de la vie par l’apparition de nombreuses formes de vie animale, et notamment les premiers animaux dotés de pattes articulées et d'un squelette.

Au Cambrien, plusieurs continents se sont détachés du supercontinent Pannotia, situé au pôle sud de la Terre. Le plus vaste de ces continents, la Laurentia, deviendra les actuels Groenland et Amérique du nord. Dans les nombreuses mers entourant ces continents aura lieu une importante diversification de la vie animale.

© paleobiodb.org

Au Cambrien, la position des continents est très différente de celle d'aujourd'hui. Plusieurs masses continentales, faisant anciennement partie du supercontinent Pannotia situé au pôle Sud, s'en sont détachées et sont remontées vers le nord.

Ces nouveaux continents se retrouvent, il y a 539 millions d’années, dans une région moins froide et davantage propice au développement de la vie, autour de l'équateur.

Le morcellement de ces continents induit l’apparition de nombreuses mers peu profondes, entourant les terres émergées. Ces fonds marins en zones tropicales constituent alors des milieux propices à l’apparition et à la diversification de nouvelles formes de vie. C’est en leur sein qu’a eu lieu la diversification de la vie appelée « explosion cambrienne  ».

Cette période est notamment étudiée sur les sites de deux gisements fossiles exceptionnels : celui de Burgess, au Canada, et celui de Chengjiang en Chine.

L'explosion cambrienne

Avant le Cambrien, n'existaient, de la faune et de la flore telle que chacun se la représente aujourd'hui, que quelques formes d'algues, des méduses et de rares coquillages de quelques millimètres. Ni crustacés, ni coraux, ni « poissons » ne peuplaient alors les mers.

La très grande variété de fossiles connus à partir du Cambrien, bien plus nombreux que ceux datant de périodes plus anciennes, a longtemps fait penser que cette période avait connu une véritable explosion de la vie.

On sait aujourd'hui que cette extraordinaire diversification avait débuté avant le Cambrien ; mais les organismes d'alors ne possédant pas de squelette, peu d'entre eux ont pu se fossiliser et se conserver jusqu'à aujourd'hui. Par ailleurs, cette forte biodiversification se poursuit également à l’Ordovicien, période qui suit le Cambrien1.

L'apparition de nombreux groupes d'espèces

Le Cambrien marque cependant l'histoire de la vie par l'apparition et la multiplication, sur les fonds marins, de très nombreuses espèces de vers, coquillages, crustacés, mollusques mais aussi de groupes d'animaux disparus depuis, comme les trilobites et les radiodontes. Les algues rouges et algues vertes, apparues au Protérozoïque, sont également présentes dans ces environnements et y poursuivent leur diversification.

À l’origine de cette diversification de la vie

Outre l'apparition de milieux marins propices à certaines formes de vie, plusieurs causes probables de l'explosion cambrienne ont été identifiées. La communauté scientifique considère aujourd’hui que les phénomènes suivants ont joué un rôle dans l’explosion cambrienne 2 :

  • la forte disponibilité de certains éléments chimiques clés tels que l’oxygène ou le calcium ;
  • une organisation génétique récemment acquise chez les espèces animales, permettant l'apparition d'un grand nombre de nouvelles combinaisons anatomiques incluant par exemple des pattes ou des yeux2 ;
  • une réaction de ces espèces animales à la forte présence, dans leur environnement, d'éléments tels que le calcium, le fer, le potassium et la silice. Ces éléments proviendraient d'une érosion massive des côtes. Les organismes vivants auraient alors appris à les assimiler pour produire leurs coquilles et squelettes3 .

Le phénomène dit de coévolution 4 aurait également accéléré la diversification des espèces : les prédateurs développant des moyens de s’adapter à l’apparition de squelettes externes protecteurs, et les proies s’adaptant à des prédateurs de plus en plus efficaces par la fuite ou d’autres moyens de défense.

« L’hypothèse qui est retenue maintenant est que l’écosystème de Burgess est une course à l’armement : lorsqu’un organisme inventait une carapace il fallait à tout prix qu’un prédateur trouve le moyen de la percer. »

Philippe Janvier, directeur de recherche émérite au Muséum et au CNRS, sur France Culture

  • 1Thomas Servais and Borja Cascales-Miñana and David A.T. Harper and Bertrand Lefebvre and Axel Munnecke and Wenhui Wang and Yuandong Zhang, 2023 — No Cambrian explosion and no Ordovician event: A single long-term radiation in the early Palaeozoic. The Cambrian ‘Explosion’, located by many authors between 540 and 520 million years ago (Ma), is considered to be an abrupt… Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology vol. 623, p. 111592. https://dx.doi.org/10.1016/j.palaeo.2023.111592
  • 2a2b Marshall Charles R, 2006 — Explaining the Cambrian “explosion” of animals. Annu. Rev. Earth Planet. Sci. vol. 34, p. 355-384
  • 3Peters Shanan E & Gaines Robert R, 2012 — Formation of the ‘Great Unconformity’as a trigger for the Cambrian explosion. Nature vol. 484, n° 7394, p. 363-366
  • 4Vermeij Geerat J, 1989 — The origin of skeletons. Palaios, p. 585-589. https://doi.org/10.2307/3514748

Le Cambrien dans l'histoire de la vie

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Hadéen

Hadéen

Il y a 4,6 milliards d’années, la Terre achève sa formation. Débute alors la première ère géologique : l'Hadéen. Le noyau de notre planète se forme et la lune apparait, probablement à la suite d'un impact entre la Terre et une proto-planète nommée Théia.

La croûte terrestre commence sa formation, et la température à la surface de la planète baisse progressivement. Il y a 4 milliards d’années, à la fin de l'Hadéen, les conditions nécessaires à l'émergence de la vie sur Terre seront réunies.

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Archéen

Archéen

Il y a 4 à 2,5 milliards d'années, la croûte terrestre continue de se former sous l’action d'un volcanisme intense. Plus tard, dans les océans très chauds, les premières bactéries et algues apparaissent. Leur photosynthèse produit alors du dioxygène, déchet toxique auquel le reste du vivant s'adaptera par la suite.

Certaines colonies de cyanobactéries sont organisées en tapis microbiens qui forment de grandes structure minérales appelées stromatolites. Ces structures sont les plus anciennes traces de vie connues.

Sur la frise : un stromatolite et une colonie d'algues, productrices d'oxygène.

Notre dossier sur l'Archéen
Protérozoïque

Protérozoïque

Au protérozoïque, du grec signifiant « avant l'animal », l'atmosphère se charge de l'oxygène produit dans les océans. A la suite d'un brusque refroidissement, les algues se diversifient sur les fonds marins et les animaux pluricellulaires apparaissent, tels que les méduses et des petits animaux munis de coquilles.

Sur la frise : un Dickinsonia (animal à corps mou) un Cloudinidae (animal à coquille) et une méduse.

Paléozoïque

L'ère Paléozoïque

Au paléozoïque, de nombreuses groupes d'espèces animales et végétales apparaissent et conquièrent tous les milieux. L’apparition d’animaux pourvus de squelettes minéralisés internes ou externes a facilité leur fossilisation et donc la préservation de spécimens jusqu’à nos jours.

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Cambrien

Cambrien

Au Cambrien, la formidable diversification de la vie démarrée au Protérozoïque se poursuit et s’accélère avec le développement de structures minéralisées, telles que les squelettes externes des arthropodes. Les fonds marins se peuplent d’animaux aux formes souvent très différentes des faunes actuelles. De nombreux groupes d’arthropodes, de vers, d’éponges ou de mollusques apparaissent.

Sur la frise : un Anomalocaris (arthropode) un trilobite (arthropode) et un Pirania (éponge tubulaire).

Notre dossier sur le Cambrien
Ordovicien
Extinction
Ordovicien-Silurien

Ordovicien

À l'Ordovicien, la vie animale se propage hors des fonds marins et gagne la colonne d'eau. Des vertébrés et des céphalopodes nagent en eaux libres alors que les brachiopodes et trilobites sont très fréquents sur les fonds marins. Les premières plantes terrestres colonisent les milieux humides continentaux. A la fin de l'Ordovicien, un refroidissement du climat entraîne la première des cinq grandes crises de la biodiversité.

Sur la frise : un Sacabambaspis (vertébré), un orthocône (céphalopode) et un brachiopode.

 

Extinction
Ordovicien-Silurien

La Terre connaît une première grande crise à la fin de l’Ordovicien, alors que la vie est exclusivement marine. Cette crise serait due à un intense épisode de glaciation et aurait provoqué la disparition de 60 à 70% des espèces.

Silurien

Silurien

Au Silurien, les arthropodes et les vertébrés poursuivent leur diversification dans les océans. Dans les milieux humides continentaux, les plantes terrestres continuent de se diversifier avec l'apparition des plantes vasculaires (qui possèdent des tiges et de la sève). Elles sont accompagnées de certains arthropodes tels que les myriapodes et les arachnides.

Sur la frise : un euryptéride (ou scorpion de mer), un mille-pattes et l'une des premières plantes vasculaires, Cooksonia.

Dévonien
Extinction
du Dévonien

Dévonien

Au Dévonien, les vertébrés marins sont très diversifiés, en particulier par la présence de nombreux « poissons » cuirassés appelés placodermes. Les tétrapodes apparaissent, ce sont les premiers vertébrés munis de pattes et de doigts mais ils sont encore inféodés aux milieux aquatiques. La végétation du début du Dévonien ne mesure que quelques dizaines de centimètres de haut : elle fait peu à peu place à des forêts d'Archeopteris mesurant jusque 30 mètres.

Sur la frise : un placoderme (prédateur marin), un Calamophyton (arbre) et un Ichtyostega (tétrapode).

Extinction
du Dévonien

D’importantes variations climatiques et la chute de l’oxygénation des mers entraînent, à la fin du Dévonien, une crise qui provoque l'extinction du Dévonien et la disparition de 75% des espèces.

Les cinq grandes crises du vivant
Carbonifère

Carbonifère

Au Carbonifère, de riches écosystèmes forestiers se développent dans les zones humides. Les arbres et insectes volants se diversifient et se spécialisent, alors que débute l'essor des tétrapodes sur le milieu terrestre. C'est à cette période que, de la collision entre deux grands continents, nait le supercontinent de la Pangée.

Sur la frise : un paléodictyoptère (insecte volant), une fougère arborescente et un Hylonomus (reptile).

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Permien
Extinction
Permien-Trias

Permien

À partir du Permien, à la suite suite d'une aridification du climat, la flore change considérablement. Les plantes à graines deviennent dominantes. Les nouvelles chaînes de montagnes subissent une forte érosion. Les amniotes (vertébrés à quatre pattes pondant des œufs) se diversifient sur la terre ferme. Dans les océans, le sommet de la chaîne alimentaire est dominé par des groupes proches des requins actuels.

Sur la frise : un dimétrodon (amniote), un rameau du conifère Walchia et un hélicoprion (proche des requins)

Extinction
Permien-Trias

A la fin du Permien a lieu la crise du Permien-Trias. C'est la plus grande qu’ait jamais connue la Terre. Elle provoque la disparition de plus de 90% des espèces, terrestres comme marines. Cette crise sans précédent aurait été essentiellement causée par deux épisodes volcaniques majeurs.

Mésozoïque

L'ère Mésozoïque

Cette période de grande diversification de la biodiversité, comprise entre deux extinctions massives, dure près de 186 millions d’années. Elle se caractérise par l’émergence et la domination des dinosaures, des reptiles volants et des reptiles marins, ainsi que par l'apparition des mammifères et des plantes à fleurs.

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Trias
Extinction
Trias-Jurassique

Trias

Au Trias a lieu une forte diversification des reptiles : crocodiles, tortues ou encore dinosaures apparaissent sur le supercontinent de la Pangée, accompagnés des premiers mammifères. Des reptiles retournent à la vie marine. Les ptérosaures sont les nouveaux grands prédateurs volants. Les groupes dominants d’insectes sont les coléoptères, les diptères et les hyménoptères. Les conifères deviennent les arbres les plus abondants.

Sur la frise : un Morganucodon (mammifère), un ichthyosaure (reptile marin) et un ptérosaure (reptile volant).

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Extinction
Trias-Jurassique

La crise du Trias-Jurassique s'étend sur près de 17 millions d'années, un record en comparaison aux autres crises qui s’étendent sur des périodes durant de 1 à 2 millions d’années. 

Probablement induite par un intense épisode volcanique en plein cœur d'une Pangée fractionnée, cette crise conduit à la disparition de 70 à 80 % des espèces, alors que commence l'ouverture de l'océan Atlantique.

Les cinq grandes crises du vivant
Jurassique

Jurassique

Au Jurassique, la Pangée n'existe plus, morcelée par les océans Atlantique et Téthys où règnent les reptiles marins. Les dinosaures se diversifient, avec le développement du gigantisme mais aussi l'apparition des premiers oiseaux. Les insectes connaissent également une forte diversification. Côté forêts, les plantes à graines prospèrent mais les fougères restent très présentes dans certains milieux.

Sur la frise : un archéoptéryx (proche des futurs oiseaux), un crabe et un sauropode.

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Crétacé
Extinction
Crétacé-Paléogène

Crétacé

C'est au Crétacé qu'ont vécu de célèbres dinosaures comme le tyrannosaure ou le tricératops. Les ammonites et reptiles marins sont fréquents dans les océans tandis que les espèces d'oiseaux se diversifient. Les plantes à fleurs connaissent un très fort succès évolutif, événement majeur de la formation des écosystèmes à venir. Elles sont accompagnées de nombreux pollinisateurs.

Sur la frise : une ammonite, une abeille sur une fleur, un tyrannosaure.

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Extinction
Crétacé-Paléogène

La dernière grande crise du Crétacé-Paléogène est sans doute la plus connue, car elle correspond à l’extinction d’un des groupes d’animaux fossiles les plus célèbres, les dinosaures (à l'exception des oiseaux). Elle concorde avec un épisode volcanique majeur au Dekkan (Inde), auquel s’ajoute la chute d’un astéroïde dans la péninsule du Yucatan (Mexique). Ces deux événements ont impacté toute la planète.

Les cinq grandes crises du vivant
Cénozoïque

Cénozoïque

Débutant il y a 66 millions d’années, le Cénozoïque se poursuit aujourd'hui. Connu comme « l'ère des mammifères » du fait de la rapide évolution de ces derniers vers de grandes tailles, c'est aussi une période de grandes diversifications parmi les oiseaux, les plantes à fleurs ou encore les « poissons à arêtes ».

Paléogène

Paléogène

Le Paléogène se situe après la disparition des dinosaures non-aviens, des ammonites et de nombreux autres groupes d’espèces. Dans les milieux qu’ils laissent vacants, les mammifères et les oiseaux connaissent une forte diversification, alors que les actinoptérygiens (ou « poissons à nageoires rayonnées ») deviennent abondants dans les océans et en eaux douces. Les plantes à fleurs, notamment les arbres feuillus, poursuivent leur développement et deviennent la flore la plus diversifiée.

Sur la frise : un palmier, un baluchitère (grand mammifère) et un actinoptérygien.

Néogène

Néogène

Au Néogène, le courant de Drake se met en place autour de l’Antarctique et la planète se refroidit progressivement pour s’approcher du climat actuel. Vers la fin du Néogène, l’isthme de Panama relie les Amériques du Nord et du Sud et forme une séparation entre Atlantique et Pacifique.  Sur la terre ferme, les prairies de graminées deviennent fréquentes et la faune s’adapte à de nouveaux écosystèmes proches de ceux que l’on connait aujourd’hui.

Sur la frise : une graminée, une antilope (ruminant) et une baleine (cétacé).

Quaternaire

Quaternaire

Le Quaternaire est la période géologique actuelle, commençant il y a 2,58 millions d'années. Plusieurs épisodes de glaciation et/ou l’émergence du genre humain amènent à l’extinction de la majorité des espèces de grands mammifères, tels que les paresseux géants ou les mammouths. Plus récemment, en un temps bien plus court que lors des autres périodes géologiques, les activités humaines impactent tous les écosystèmes et provoquent une augmentation globale de la température.

Sur la frise : un fuchsia, un humain et une méduse.

L’apparition du squelette externe, ou exosquelette

Les Small shelly fossils (SSF), ou « petits fossiles coquilliers », étaient très abondants avant l’explosion cambrienne. Il s’agit des premiers organismes capables de produire leur propre squelette externe.

Lors des quelques millions d’années précédant l’explosion cambrienne, les premiers animaux à coquilles apparaissent. Ils sont appelés les « petits fossiles coquilliers », et ne mesurent que quelques millimètres. Ces animaux sont les premiers capables de biominéralisation, c’est-à-dire qu’ils sont capables de produire des parties minérales telles que des coquilles ou des squelettes.
Cette nouvelle faune, bien que peu diversifiée, est alors présente dans une grande partie des mers du globe 5. En son sein se trouvent notamment les premiers mollusques.

Mais lors de l’explosion cambrienne, commençant il y a environ 530 millions d’années, cette faune est remplacée par une impressionnante diversité de nouveaux animaux. Parmi eux, on retrouve notamment les premiers représentants des chordés, des coquillages bivalves, des échinodermes, des foraminifères et des phytoplanctons, mais aussi une grande variété d’arthropodes.

  • 5Kouchinsky Artem, 2000 — Shell microstructures in Early Cambrian molluscs. Acta Palaeontologica Polonica vol. 45, n° 2.

Ce fossile de trilobite du genre Protolenus présente un état de conservation exceptionnelle en raison d'un ensevelissement rapide. On y distingue les nombreux segments composant l'exosquelette. Ce fossile décrit en juin 2024 provient d'un gisement datant de 515 millions d'années.

© El Albani et al., 2024

Les arthropodes possèdent une nouvelle forme de squelette. Sa composition est proche de celle des exosquelettes des arthropodes actuels tels que les abeilles, les crabes ou les araignées. C’est à dire qu’elle est principalement composée de chitine et de protéines, et imprégnée d'une quantité de carbonate de calcium variant selon les groupes d'espèces.

Leur squelette est organisé en segments successifs qui recouvrent et protègent chacune des parties du corps. Ces segments sont reliés entre eux par des articulations et servent de points d'accroche aux muscles, permettant des mouvements contrôlés et complexes. Mais l’innovation ne s’arrête pas là : certains segments ou appendices vont alors remplir des fonctions inédites permettant la marche, la respiration, la mastication ou encore la préhension.

En 20 millions d'années, période très courte à l'échelle de l'histoire de la vie, vont apparaître les premières pattes, ainsi que les premières nageoires, branchies et pinces, mais aussi les premiers yeux.

La diversité des formes de vie au Cambrien

La particularité de l'explosion cambrienne est la grande diversité de formes de vie qui y sont apparues. Certaines étaient très différentes de celles qui nous entourent aujourd'hui. Découvrez quelques-uns des vers marins, éponges, mollusques et les divers arthropodes qui peuplaient les fonds marins il y a plus de 500 millions d'années.

Sidneyia était un arthropode qui se nourrissait de mollusques et de petits trilobites. Il mesurait lui-même de 5 à 13 centimètres.

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Marella est un arthropode possédant un bouclier céphalique en forme de fer à cheval et deux antennes. Il mesurait de 2,4 à 25 millimètres et était très abondant au Cambrien.

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Pirania est une éponge tubulaire, sa structure lui permettait de recueillir des particules organiques en suspension dans l’eau, c’est donc un animal filtreur. Il pouvait mesurer jusqu'à 3 centimètres. Des brachiopodes ont parfois été retrouvés fixés sur des spécimens de Pirania.

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Ottoia est l’un des plus anciens vers priapulien connus. Ce prédateur pouvait mesurer jusque 15 centimètres. Il vivait enfoui dans des tunnels en forme de U qu’il creusait dans le sol, chassant en surface avec sa tête.

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Hallucigenia mesurait jusqu'à trois centimètres de long. Cet animal trouvé dans les schistes de Burgess, au Canada, a d’abord été décrit à l’envers, sa tête étant mal identifiée, et ses épines dorsales confondues avec ses pattes.

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Anomalocaris : la découverte d’un type inédit de superprédateur

Anomalocaris canadensis pouvait mesurer 1 mètre de long. Ce super-prédateur était muni d’yeux, d'appendices buccaux et d’une bouche capable de broyer ses proies.

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Très différent des arthropodes actuels, il a fallu près de 80 ans pour que soit correctement décrit le plus grand prédateur du Cambrien connu à ce jour, mesurant presque un mètre de long : Anomalocaris canadensis.

À l'époque de sa découverte, en 1892, les paléontologues avaient pour habitude de rattacher systématiquement les espèces nouvellement découvertes à des groupes d'animaux connus. Mais l’extraordinaire disparité de formes présentes dans la faune Cambrienne a permis de remettre en question cette pratique.

Un puzzle paléontologique

L'anatomie d'Anomalocaris ne correspondant à aucun groupe d'animaux actuels, différentes parties de son corps ont d'abord été identifiées comme étant des animaux distincts :

  • Les appendices présents sur sa tête étaient interprétés comme une espèce de crustacé, proche des crevettes actuelles. C'est d'ailleurs cet organe qui fut nommé Anomalocaris, qui signifie « crevette étrange ».
  • Sa bouche circulaire était prise pour une sorte de méduse du genre Peytoia.
  • Le reste de son corps était rattaché aux Holoturies, les concombres de mer, et nommée Laggania.

La requalification des arthropodes du Cambrien

C'est dans les années 1970 que l’ensemble de la faune Cambrienne trouvée dans les schistes de Burgess, au Canada, est réétudiée par trois paléontologues de l’université de Cambridge. Ils entreprennent de disséquer et dessiner certains fossiles couche par couche, obtenant ainsi une représentation en trois dimensions des spécimens 6.

Cette méthode permet une identification bien plus fine et précise de la faune de Burgess, changeant complètement la vision que les paléontologues avaient des espèces vivant au Cambrien. Il est alors mis en évidence que nombre des animaux présents à cette époque n’appartenaient à aucun groupe d’animaux connus.

L’anatomie d’un superprédateur

Ces travaux permettent notamment de reconstituer l'anatomie d'Anomalocaris canadensis. Celui-ci représentait bien une seule nouvelle espèce très différente de la faune actuelle, et non trois espèces appartenant à des groupes encore existants.

Il possédait deux appendices préhenseurs permettant d’attraper des proies et une bouche capable de broyer certaines carapaces. Il était également capable de nager à la manière des raies actuelles 7 et était doté d'une paire d'yeux. Ces caractéristiques ainsi que sa grande taille font de lui un superprédateur, ce qui signifie qu'une fois adulte il était au sommet de la chaîne alimentaire du fond des mers cambriennes 8.

  • 6La vie est belle : les surprises de l'évolution (Wonderful Life: The Burgess Shale and the Nature of History), 1989 (ISBN 2-02-035239-7)
  • 7 Sheppard K A, Rival D E & Caron J -B, mars 2018 — On the Hydrodynamics of Anomalocaris Tail Fins. Anomalocaris canadensis, a soft-bodied stem-group arthropod from the Burgess Shale, is considered the largest predator of the… Integrative and Comparative Biology vol. 58, n° 4, p. 703-711 ISSN 1540-7063. https://dx.doi.org/10.1093/icb/icy014
  • 8Vinther Jakob, Stein Martin, Longrich Nicholas R & Harper David AT, 2014 — A suspension-feeding anomalocarid from the Early Cambrian. Nature vol. 507, n° 7493, p. 496-499

Muni de cinq yeux et d'un appendice préhenseur, l'opabinidé Opabinia regalis est un autre exemple de prédateur du Cambrien.

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Les prédateurs du Cambrien

Ces innovations permettent non seulement à Anomalocaris, mais également à sa famille, les radiodontes, et à leurs proches parents les opabinidés, d’occuper le rôle de prédateurs dans la plupart des mers connues au Cambrien.

On connait aujourd’hui plusieurs dizaines d’espèces de radiodontes et d’opabinidés du Cambrien.

Mais ceux-ci ne sont pas les seuls prédateurs du Cambrien. Par exemple, une étude publiée en janvier 2024 dans la revue Science a détaillé le mode de vie de Timorebestia koprii : un grand ver prédateur de 30 centimètres de long, vivant au Cambrien. Il ne chasse pas sur les fonds marins, mais plus haut, dans la colonne d’eau. T. koprii appartient au groupe souche des chétognathes, des vers marins encore représentés aujourd’hui, mais ne mesurant que quelques centimètres et faisant partie du zooplancton.

Pikaia est-il notre plus vieil ancêtre connu ?

Régulièrement présenté à tort comme étant le premier des chordés et l'ancêtre de tous les vertébrés. Pikaia gracilens possède cependant des caractéristiques qui lui sont propres. Elles en font une exception parmi les chordés de l’époque, différents des futurs vertébrés.

CC BY-NC-ND 3.0 Nobu tamura

Les animaux des schistes de Burgess décrits en 1911 ne sont pas uniquement des arthropodes. Lors d’une étude approfondie dans les années 1990, la présence de myomères, des muscles qu'on retrouve chez les vertébrés, est mise en évidence chez Pikaia gracilens. Ce caractère en fait un chordé (Chordata), c’est à dire qu’il appartient au même embranchement que tous les vertébrés actuels.

Le raccourci est alors tentant : si Pikaia était à l’époque le plus ancien chordé connu, et si les vertébrés descendent des chordés, alors pourquoi ne pourrait-on pas dire que Pikaia est l’ancêtre de tous les vertébrés ?

La recherche de nos plus vieux ancêtres est un sujet récurrent en paléontologie, mais il véhicule de nombreuses idées reçues et fausses informations. Lorsqu’un fossile inédit présente des traits communs à tout un groupe d’individus, il est fréquent de voir apparaître des articles de journaux titrant « Notre plus vieil ancêtre a été découvert ! ». Pourtant, cela se révèle généralement faux.

La fossilisation est un phénomène rare

On ne connait qu’une très faible partie des espèces vivant à une époque donnée. L’une des raisons de cet état de fait vient de ce que les paléontologues nomment le biais de fossilisation : la fossilisation étant un phénomène rare, très peu d'espèces anciennes parviennent jusqu'à nous. On a par ailleurs davantage de chances de trouver des fossiles d'une espèce fortement impactée par une extinction, massive ou locale, que de découvrir les espèces qui en aurait réchappé pour avoir une descendance.

De nombreuses espèces sont ainsi absentes du registre fossile. Pikaia était bien, en 1990, le premier chordé connu à avoir vécu il y a 505 millions d’années, mais d’autres chordés existaient sans doute à la même période.

Et ceci se vérifia : de nombreux autres chordés du Cambrien ont été trouvés dans les gisements fossiles de Chengjiang depuis 1995. Plusieurs d’entre eux, tels que Metaspriggina, Myllokunmingia et Haikouella sont même plus proches morphologiquement des vertébrés actuels que ne l’est Pikaia 9. Mais il serait encore scientifiquement faux d’affirmer que ceux-ci étaient nos ancêtres.

Au lieu de cela, les scientifiques étudient ce qu'on appelle le « dernier ancêtre commun » à un groupe d’espèces, comme les vertébrés (ou à une espèce, comme Homo sapiens). Il s’agit d’une représentation virtuelle d’une espèce possédant l’ensemble des traits communs à tous ses descendants. Un tel groupe d’individus a probablement existé, et tous les vertébrés en seraient les descendants, mais les chances qu’on puisse trouver et étudier leurs fossiles sont quasiment nulles.

  • 9Chen Jun-Yuan, Huang Di-Ying & Li Chia-Wei, 1999 — An early Cambrian craniate-like chordate. Nature vol. 402, n° 6761, p. 518-522

Comment se termine le Cambrien ?

En l’espace des 50 millions d’années que dure cette période géologique, le visage de la faune sur notre planète a été entièrement remodelé. Essentiellement sur les fonds marins, l’explosion cambrienne a vu apparaître un nombre impressionnant de nouvelles espèces et de nouvelles formes anatomiques. On considère que tous les embranchements d’animaux actuels étaient désormais présents, mais aussi de nombreux ordres d’animaux aujourd’hui éteints.

Le Cambrien se termine, il y a environ 487 millions d’années, par une extinction massive et la disparition de nombreuses espèces, notamment chez les trilobites et les brachiopodes. Mais les raisons de cette extinction font encore débat aujourd’hui. L’hypothèse la plus courante est une diminution du taux d’oxygénation des milieux marins, qui pourrait être due à un refroidissement global de la planète.

Cette extinction laisse des niches écologiques libres, c'est-à-dire que des espèces disparaissent et libèrent la place pour de nouvelles espèces. Cela permet à la diversification de la vie de se poursuivre à l'Ordovicien, débutant il y a environ 487 millions d'années.

Article rédigé en 2023. Mis à jour en décembre 2024. Avec la participation de Damien Germain et Denis Audo, paléontologues, maîtres de conférence et chargés de collections au CR2P - UMR 7207 et Grégoire Egoroff, géologue à l'UAR Patrinat.

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